Retour sur les premières Assises de l’audiovisuel local
Le 25 novembre dernier, à l’initiative de Locales TV et du Sirti), deux syndicats professionnels, tous les responsables de radios et télévisions locales étaient réunis à Paris pour une journée de mobilisation et de réflexion sur leur avenir. L’objectif : souligner la diversité des acteurs, le poids du secteur et l’attachement des Français à l’audiovisuel local. Solliciter aussi un soutien plus fort des pouvoirs publics afin de garantir la qualité et l’indépendance des télés et radios locales dans un contexte de baisse des recettes publicitaires, de concurrence des GAFA et de concentration des médias. Voici ce que nous avons retenu de cette journée.
Les Français font confiance aux radios et télés locales
La Ministre de la Culture Roselyne Bachelot a ouvert la journée en saluant le travail des radios et télévisions locales pendant la crise sanitaire. « Votre ancrage local a permis de conforter la confiance envers vos médias », a-t-elle souligné, ajoutant que les télés jouaient aussi un rôle indispensable dans la création audiovisuelle et que les radios avaient su s’adapter aux usages d’écoute (développement d’une appli mobile commune, passage au Dab+…).
Elle a également rappelé qu’un crédit d’impôt et un fonds d’aide spécial ont été déployés pour aider les médias audiovisuels locaux à faire face à la baisse de leurs recettes publicitaires lors de la crise sanitaire.
L’institut IFOP a présenté les résultats d’un sondage commandé par les syndicats Locales TV et Sirti pour mesurer l’attachement des Français aux médias audiovisuels locaux. Les principaux enseignements :
⁃ 80% des Français font confiance aux médias locaux 80% (contre 73% aux médias nationaux, et 19% seulement pour les réseaux sociaux). Un taux nettement plus élevé que celui mesuré chaque année par le baromètre Kantar La Croix ur la crédibilité des médias
⁃ sans surprise, les jeunes affichent le taux de confiance le plus élevé envers réseaux sociaux
⁃ 5,7 Français sur 10 estiment les médias locaux proches préoccupations (5,4 pour les médias nationaux)
⁃ 72% des sondés sont attachés aux télés locales et 70% aux radios locales
⁃ 58% disent consulter les médias de proximité pour s’informer sur les élections locales. En tête la presse avec 33%, suivi de la télé (25%) et la radio (17%)
⁃ 8 personnes sur /10 estiment que les pouvoirs publics doivent soutenir les médias audiovisuels locaux
Progression des déserts journalistiques ?
Julien Kostrèche, directeur de Ouest Médialab, l’association qui organise le Festival de l’info locale, est venu partager une réflexion sur la question des déserts journalistiques en s’appuyant sur plusieurs études de référence conduites sur le sujet (aux Etats-Unis, en Australie ou Brésil) et le recensement inédit des rédactions effectué par les équipes de Ouest Médialab entre 2019 et 2020.
« Aux Etats-Unis, 2 000 journaux ont disparu en 15 ans et 225 comtés n’ont aujourd’hui plus de médias locaux sur leur territoire. C’est un phénomène spectaculaire et en progression. »
« Ces déserts journalistiques ont quelques caractéristiques communes : ils sont plus éloignés des grandes métropoles, le revenu moyen des ménages y est inférieur à la moyenne nationale, le taux de pauvreté plus élevé, la proportion de population issue de l’immigration plus forte et l’abstention ou le vote l’extrême droite plus important. »
« Avec plus de 1 500 rédactions locales recensées en France, nos territoires semblent bien couverts et le pays ne connaît pas l’hémorragie à laquelle sont confrontés les Etats-Unis. S’il n’existe aucun département français sans média local, il est cependant difficile de mesurer la couverture journalistique effective à une échelle plus fine comme celle de communautés de communes. »
« Plusieurs indicateurs laissent cependant penser que nos territoires sont moins couverts que par le passé, comme la diminution du nombre de journalistes encartés ou correspondants locaux en région, le nombre de fermetures ou de réorganisations des agences locales de la presse régionale depuis 10 ans ou encore la baisse de la diffusion ou de la pagination des journaux. »
Le directeur de Ouest Médialab a souligné l’importance de mesurer ce phénomène en France et lancé un appel aux partenaires intéressés pour conduire une étude solide sur le sujet.
Fake news & information locale
Jean-Michel Lobry, PDG du pôle audiovisuel Rossel La Voix, a évoqué le travail quotidien des journalistes locaux face à la désinformation.
« On est confronté tous les jours à des fake news. Démontrer l’utilité de nos médias et développer une relation de confiance incarnée est la meilleure réponse que nous pouvons apporter au phénomène la désinformation. »
« Le télénaute accorde beaucoup d’importance à la signature de la marque média et à celle du journaliste reconnu. »
« Les télévisions locales ont un rôle fondamental pour créer du débat et jouer leur rôle citoyen ».
Pour illustrer ce propos, Jean-Michel Lobry a pris pour exemple une actualité récente d’une commune de la Somme où le conseil a démissionné et la maire été prise à partie sur les réseaux sociaux. La Voix du Nord a estimé qu’il fallait faire plus qu’un article et donc organisé un débat télé de 20 minutes en donnant la parole à toutes les parties concernées.
Sylvain Athiel, directeur du pôle Broadcast Mediameeting – A2prl et président de l’EJT, l’école de journalisme de Toulouse, a souligné le besoin en formation et la nécessité de sortir de l’anonymat :
« La lutte contre la désinformation, c’est aujourd’hui 90h de programme pour les étudiants en journalisme de notre école. »
« Pour beaucoup, les fake news sont encore une sorte fantôme qui est là mais qu’on a du mal à saisir concrètement. »
« Nos journalistes signent, assument leurs écrits, et c’est toute la différence avec l’anonymat qui règne sur les réseaux sociaux. »
Quand les médias interagissent avec le public
Nathalie Pignard Cheynel, professeur en journalisme et information numérique à l’Université de Neuchâtel en Suisse, a synthétisé les résultats du projet LINC qui étudie les rapoports que les médias entretiennent avec leur public nous avions présenté lors de la première édition du Festival de l’info locale.
« Pour ne pas perdre leur audience ou leurs abonnés, les médias ont pris conscience qu’il faut repenser les relation avec le public.»
3 grande tendances sont observées dans les rédactions, en particulier les médias locaux :
⁃ le retour d’un journalisme participatif, qui donne davantage la parole au plus, offre la possibilité d’envoyer des contenus à la rédaction, etc.
⁃ une plus grande proximité avec le public, notamment en organisant des rencontres physiques (conférences de rédaction ouvertes, événementiel…)
⁃ un effort de transparence et de pédagogie sur la fabrication de l’information
Quelles innovations dans les médias audiovisuels locaux ?
Dominique Renauld, ancien directeur de Vosges TV, a présenté le projet Noozy.tv qu’il porte aujourd’hui. Il s’agit d’une plateforme régionale de contenus audiovisuels culturels, qui associe plusieurs producteurs et télévisions locales.
Le laboratoire de recherche en informatique de l’Université de Lorraine (Loria) est associé au projet pour mettre au point un algorithme de recommandation.
Les vidéos sont aujourd’hui disponibles gratuitement et à la demande sur la plateforme qui misent sur des revenus publicitaires pour se développer.
Caroline Chicard, directrice générale du groupe Mont Blanc Médias a présenté les projets consuits pour « avoir un impact sur les objectifs développement durable », notamment :
⁃ la nouvelle rubrique éditoriale « Dame nature » qui valorise sur les antennes les actions pour préserver la biodiversité et des acteurs inconnus qui font un travail formidable sur le terrain
⁃ le concours éco tremplin de radio Mont Blanc, lancé après 2 années de développer, pour accélérer la croissance d’entrepreneurs engagés dans le développement durable, en leur apportant visibilité sur les antennes, réseau et mécénat de compétences.
Philippe Antoine, directeur des rédactions de BFM Régions, a détaillé la stratégie d’innovation adoptée par les chaînes locales du groupe pour se différencier du national avec BFMTV. Elle revêt trois dimensions :
⁃ l’adoption d’un « nouvel outil pour être plus agile sans renier la qualité », soit, concrètement, arrêter le nagra et la caméra au profit du smartphone.
⁃ la diffusion et l’incarnation des journaux : BFM Régions développe la « présentation autonome qui permet au journaliste de lancer seul son journal, ou presque » (puisqu’il ets assisté par un journaliste éditeur en régie). « Cela permet d’être plus facilement place en direct pour une édition spéciale », par exemple dernièrement sur le naufrage des migrants dans La Manche.
⁃ l’intégration de la data pour « être capables à l’image de donner de l’info automatique en scroll à l’écran, notamment de l’info pratique ».
Un lien évident entre presse locale et démocratie
Daniel Kübler, co-directeur du Centre d’études sur la démocratie de l’Université de Zurich, a présenté la méthodologie et les résultats de travaux qui démontrent que les pertinence des contenus locaux augmentent significativement la participation électorale.
L’étude réalisée sur 408 communes en Suisse, établit clairement un lien entre pertinence locale des contenus médiatiques et le taux de vote aux élections communales. Elle s’appuie sur le concept de “congruence”. En quelque sorte, plus la presse colle à son territoire en termes de couverture et de diffusion, plus il y de lecteurs et plus il y a de participation aux élections locales.
Et le chercheur de conclure : « Un citoyen qui participe c’est nécessairement un citoyen informé des choix possibles. Et la disparition de la presse locale est bien une menace pour la démocratie. »
Guy Détrouselle, directeur commercial développement de Médiamétrie, a souligné le rôle d »ambassadeurs de leur territoires de médias audiovisuel locaux et partager une réflexion sur l’évolution de leur audience.
« Qu’est-ce que le local ? On peut raisonner en terme de couverture ou de diffusion sur un bassin de population, mais se limiter à la géographie c’est réducteur. Les territoires sont définis aussi par les communautés des gens qui y vivent, leur identité. »
« La distinction n’est plus à faire entre Paris et la province mais entre les métropoles et les zones rurales. C’est là où l’on mesure les plus grands écarts. »
« On a des chaînes de TV locales qui peuvent faire 10% sur une journée et dépasser l’audience d’une chaîne nationale de la TNT. »
« Attention à ne pas comparer les audiences numériques, mensuelles, avec les audiences jour ou hebdo des radios ou télés locales. »
« La portée des médias locaux évoluent vite : avec les box, le dab+, les réseaux sociaux, l’audience dépasse de plus en plys les territoires de diffusion. »
Les médias locaux indépendants face aux Gafam et phénomène de concentrations
Mercedes Erra, présidente de BETC Group, a souligné en introduction la forte demande des Français sur le local :
« Toutes nos études nous montrent l’importance de l’ancrage, des territoires, de l’achat local, de la proximité. On ne peut pas reculer dans le secteur de la publicité locale alors que la demande des gens pour le local est plus forte que jamais. »
Jean-Eric Valli, président du GIE Les Indés Radios, s’est inquiété de la dominance des GAFA sur le marché publicitaire, y compris auprès d’acteurs institutionnels :
« Pour les indés, la pub locale c’est en moyenne 50% mais ça peut atteindre 80%. »
« Aujourd’hui les GAFA profitent du travail des médias. »
« Que les collectivités fassent de plus en plus de pub via les réseaux sociaux plutôt que dans les médias indépendants, c’est inquiétant. Même des chambres de commerces ont publié un mode d’emploi pour l’achat d’espaces sur les GAFA. Pourquoi ? Par effet de mode, snobisme ? En tout cas, ce n’est pas une démarche professionnelle et responsable de leur part. »
Didier le Bougeant, adjoint à la maire de Rennes et président de la chaîne locale TVR, a eu quelques bonnes formules pour décrire les changements en cours :
« Le complexe du plouc à qui ont disait que le local c’était ringard s’est aujourd’hui inversé. »
« L’élu local, comme on l’entendait souvent, c’est celui qui est à portée de baffes. Le journaliste local aussi »
« Le local ce n’est pas le bocal, ce n’est pas parce qu’on est fiers de notre identité que l’on va s’enfermer sur le monde. Au contraire, le local est synonyme d’ouverture, comme on le voit en Bretagne. »
Dominique Carlac’h, vice-présidente et porte-parole du Medef, s’est réjoui que le Sirti soit le dernier adhérent en date du Medef et le premier syndicat professionnels à venir des médias :
« Les radios locales nous permettent de prendre le pouls de la santé économique des territoires, avec des remontées de terrain sur les difficultés que peuvent rencontrer les commerçants par exemple. »
« Une radio locale qui parle d’entreprises locales contribue au rayonnement de son territoire et tort l’idée reçue que l’herbe est toujours plus verte ailleurs. »
Line Gasparini, directrice adjointe de la régie 366, a confirmé la tendance « Local is the new cool » en soulignant que même le New York Times y consacre dorénavant sur son site Internet une verticale intitulée : « Truth is Local »
« Il y a des attentes des citoyens sur la relocalisation de l’économie et en matière d’impact des entreprises. Celles-ci sont plus responsables et plus impliquées sur leur territoire. »
Quel paysage audiovisuel en 2030 ?
Aurore Bergé, députée des Yvelines et présidente déléguée du groupe LaREM, a rappelé la force de médias traditionnels et le travail réalisé par les parlementaires sur l’audiovisuel en particulier ;
« La crise a mis en lumière la capacité de résistance et d’adaptation des médias locaux pour délivrer une information essentielle aux Français. »
« Le confinement a donné tort à tous ceux qui ont enterré trop vite le TNT et la télévision linéaire qui est gratuite donc accessible à tous et ça respecte nos vies privées. »
« J’aurai aimé qu’on aille plus loin sur la publicité, sur les annonces légales, la diversité, les quotas… »
« Ce que nous avons réussi à faire sur les obligations des plateformes de contribuer au financement de la création dans l’audiovisuel et le cinéma doit concerner aussi la création radiophonique. »
Aurélie Rousseau, directrice générale de TVR et co-présidente de Locales TV a insisté trois enjeux pour maintenir un audiovisuel local de qualité :
⁃ l’accessibilité et la visibilité : modernisation de la plateforme TNT, accès facilité aux plateformes et agrégateurs, sans oublier la bataille du bouton de la télécommande…
⁃ les modèles éco : « La concentration est-elle inéluctable ? Je crois plutôt aux coopérations, au soutien dans les régions par exemple pour coproduire ensemble. »
⁃ la nécessité de cultiver l’identité des territoires, de valoriser et conserver leur patrimoine
Alain Liberty, président du Sirti, s’est inquiété de l’emprise des GAFA et demandé de nouvelles taxes pour financer les radios locales :
« Quand l’Europe a annoncé l’obligation d’équiper tous les postes de radio de puce dab+ nous avons pensé que nous étions sauvés ! Mais c’était sans compter sur Androïd Automotive qui intègre sa propre solution auprès des constructeurs automobiles, y compris français comme Renault… C’est donc Google qui va décider des radios disponibles sur ce type de poste, même si elles ne respectent pas les règles en vigueur. »
« Il faut à tout prix présenter l’accessibilité du public aux radios locales. »
« Nous devons être reconnus comme des acteurs qui contribuent à la création. 160 millions de podcasts sont aujourd’hui téléchargés selon Médiamétrie et pourtant nous ne touchons rien au titre de la copie privée. »
Roch-Olivier Maistre, président du CSA, a insisté quant à lui sur la diversité et solidité des médias traditionnels :
« Plus de 1 000 radios en France, un formidable paysage qu’il faut préserver. »
« L’enjeu c’est le pluralisme, pour que les Français puissent avoir accès à une diversité de médias, en veillant à ce qu’aucun monopole se forme. »
« On sait que des mouvements de concentration puissants sont à l’œuvre, partout, notamment aux États-Unis, où Netflix par exemple a une force de frappe spectaculaire. En France, on assiste à un rapprochement des télés et des radio, un rapprochement aussi entre TF1 M6, une OPA de Vivendi sur Lagardère… mais je ne crois pas que ce soit inéluctable même si les règles en vigueur sont parfois obsolètes et qu’il nous faut les faire évoluer. »
« En 2030, je crois que nous aurons une forme de stabilité des médias traditionnels. »
Vers une labellisation des médias locaux audiovisuels ?
Pour conclure cette journée, les responsables de Locales TV et du Sirti ont appelé à une labellisation des médias audiovisuels locaux.
Labelliser les médias audiovisuels locaux, c’est reconnaître la spécificité de leurs apports de manière objective et quantifiée, pour mieux les protéger et les soutenir.
L’objectif pour les télévisions et radios locales labellisées est de pouvoir in fine bénéficier d’un niveau de financement par l’Etat comparable à celui dont bénéficient les journaux via les aides à la presse.
Les syndicats proposent trois piliers pour ce soutien des pouvoirs publics :
– Création d’un fonds de soutien à la diffusion hertzienne afin de garantir un modèle de diffusion sans intermédiation ;
– Soutien à l’innovation : modernisation technique des équipements, adaptation aux nouveaux usages, nouveaux formats et contenus ;
– Mise en place d’une fiscalité incitative avec un crédit d’impôt sur les investissements publicitaires sur les médias audiovisuels locaux et la mise en place d’un taux de TVA réduit sur les subventions.
Pour Aurélie Rousseau : « La création de cette labellisation favorisera la protection et le développement des médias audiovisuels locaux indépendants dans un contexte de concentration du secteur, de montée en puissance des GAFAM dans l’info locale et de leur accès non régulé au marché publicitaire. C’est une question de responsabilité, pour garantir à tous les Français l’accès à une information de proximité de qualité. »
Pour Alain Liberty : « Sans les radios locales, souvent seuls acteurs locaux sur leurs territoires, ce sont des régions entières qui deviendraient des déserts médiatiques. L’audiovisuel local est complémentaire ou se substitue parfois au service public qui ne peut pas être partout. La presse quotidienne régionale a bénéficié d’une juste reconnaissance de son rôle avant l’émergence finalement récente de l’audiovisuel de proximité, il faut à présent, et sans attendre, élargir cette considération à l’ensemble des médias locaux. »