« L’IA ne remplacera pas les journalistes mais pourra en augmenter le travail  »

A l’occasion de la 5e édition du Festival de l’info locale, nous avons interrogé David Dieudonné, responsable du Google News Lab en France, Italie et Espagne, sur l’impact de l’intelligence artificielle sur le journalisme et les médias.

Google accompagne depuis longtemps les journalistes dans leurs pratiques numériques. Comment voyez-vous l’évolution de ces pratiques avec l’IA ?

David Dieudonné : “L’intelligence artificielle est depuis plusieurs années un champ d’expérimentation très fécond pour les médias, tant en matière éditoriale qu’en ce qui concerne leur modèle économique. On assiste aujourd’hui à une accélération de cette évolution grâce à la maturité accrue de l’intelligence artificielle dite générative, c’est-à-dire capable de produire du texte ou des images de synthèse.

Polis, le think-tank de journalisme de la London School of Economics — reprenant une typologie établie par Associated Press, l’un des pionniers de l’intelligence artificielle dans les médias, identifie trois champs d’application de ces technologies : la collecte, la production et la distribution de l’information. En clair, passer au peigne fin de grandes quantités de données publiques pour isoler une information, une image ou un angle original ; produire de façon automatique des articles en utilisant une trame éditoriale établie par un journaliste qui est ensuite chargée d’en vérifier  le résultat, comme c’est déjà le cas dans certaines rédactions pour les résultats financiers d’entreprises ; ou déterminer la propension d’un lecteur à s’abonner à un média en fonctions de ses habitudes de lecture sur son site.”

En quoi consiste le programme JournalismAI proposé par la London School of Economics et soutenu par Google News Initiative ?

JournalismAI est un programme dirigé par le Professeur Charlie Beckett, fondateur de Polis,  le think-tank de journalisme de la London School of Economics, qui a pour vocation de donner aux médias partout dans le monde les moyens d’utiliser l’intelligence artificielle de façon responsable. Il s’articule autour de trois grands piliers : la recherche, la formation et l’expérimentation collaborative. 

Tout est né d’une grande enquête réalisée sous la forme d’un questionnaire adressé par Polis à 116 professionnels de l’information dans 71 médias dans 32 pays dans le monde. Ce travail académique qui a donné lieu en 2019 à la publication d’un rapport qui vient d’être actualisé cette année a permis d’identifier trois grandes tendances : l’IA ne remplacera pas les journalistes mais pourra en “augmenter” le travail ; le principal besoin exprimé par les médias est la formation ; et une majorité d’entre eux a envie de collaborer, les uns avec les autres et avec les grandes plateformes, pour régler grâce à l’IA des problématiques éditoriales ou économiques communes. 

De ce constant est né deux efforts parallèles : la création de modules de formations adaptés aux professionnels de l’information, avec une attention particulière portée aux petites rédactions locales. Et un dispositif d’expérimentation collaborative, qui prend aujourd’hui la forme d’une bourse destinée aux journalistes et aux experts technologiques employés par les médias.”

Quels sont selon vous les projets de médias utilisant l’IA les plus inspirants du moment ?

“C’est une question vraiment difficile compte-tenu du nombre foisonnant d’initiatives en cours dans ce domaine ! Mais je peux vous parler des six projets actuellement développés par les 32 lauréats de la bourse JournalismAI, cette année, et qui sont tous très prometteurs : Daisy et NoticIA, des systèmes permettant aux lecteurs d’interroger directement le contenu d’un média aux moyen d’un robot conversationnel ; Timelark, un outil de recherche qui facilite la compréhension de chronologies complexes, notamment au sujet de la guerre en Ukraine ; un autre dispositif permettant de révéler les éventuels conflits d’intérêts des parlementaires britanniques en croisant leurs discours et leurs patrimoine financiers ; un système aidant  les éditeurs à adapter le contenu à des publics de niche (géographiques, démographiques ou thématique) ; et enfin un “bloqueur de biais”, sous la forme d’un plugin destiné aux journalistes afin de détecter les préjugés et la discrimination en temps réel, dans le contenu en anglais et en arabe. Pour découvrir ces projets, rendez-vous en décembre au JournalismAI Festival.”