163. Ce qui attend les médias locaux en 2025

Points de vue 👀

En ce début d’année, nous avons demandé à plusieurs membres de notre association, Ouest Médialab, de se prêter à l’exercice des “prédictions” pour voir quels sont les enjeux des médias de proximité en 2025. Voici leurs points de vue.

Les télés locales, acteurs de la vidéo globale

Aurélie Rousseau, directrice de TVR, présidente de Ouest Médialab et de Locales TV

En 2025, les télévisions locales se trouvent à un moment clé de leur histoire. Elles devront naviguer entre des enjeux liés à la diversification de leurs modèles économiques, la captation de l’attention par les plateformes numériques, et aux évolutions technologiques en cours.

L’instabilité politique et les contraintes qui pèsent sur les collectivités locales vont concerner les économies des télévisions locales, dont elles sont souvent les premiers financeurs. Ceci dans un contexte de transfert de la publicité des médias traditionnels vers les géants du numérique. Pour survivre, les télévisions locales devront poursuivre la diversification de leurs sources de financement et confirmer leur place d’acteurs de la vidéo globale, par la couverture live d’événements, la création de contenu pour les marques locales ou encore la location de leurs studios…

Les enjeux sont nombreux  en 2025 : intégrer l’IA dans les process de production pour gagner en rapidité d’exécution, garantir un travail journalistique d’une grande rigueur pour contrer les acteurs de la désinformation, repenser les liens aux publics pour regagner une audience qui s’est éloignée des médias. Cela ne pourra se faire sans décisions politiques fortes de la part du législateur, qui doit prôner une régulation qui s’appliquera à tous. L’enjeu est démocratique, nous le savons tous, pour préserver un paysage médiatique riche et pluriel en France en 2025.

Saisir prudemment les opportunités offertes par l’IA

David Dieudonné, chargé de projet Intelligence Artificielle à Ouest-France

Un des enjeux pour les médias de proximité en 2025 sera de saisir les opportunités éditoriales et économiques de l’intelligence artificielle, une technologie porteuse de promesses autant que de questions, en prévenant les risques.

Fidèle à ses principes fondateurs, « Éclairer, informer, relier », Ouest-France s’est fixé comme objectifs de fournir à ses équipes un accès sécurisé à des modèles de langage pour identifier des cas d’usage sans compromettre le patrimoine éditorial ; établir un cadre déontologique pour assurer supervision humaine et transparence ; instituer un dialogue régulier avec les représentants du personnel ; enfin, évaluer à 360° les impacts de chaque expérimentation avant tout déploiement.

Cette phase réunit autour de chaque prototype, rédaction en chef, service juridique, DRH, contrôle de gestion et RSE, pour innover dans le respect de la déontologie, du droit, de l’organisation du travail et de l’environnement.

Vers des abonnements plus flexibles et optimisés

Anaïs Vivion, CEO de Beapp

En 2025, optimiser les modèles d’abonnement sera un enjeu stratégique de monétisation pour les médias de proximité. Ils doivent être aussi fluides que les attentes des lecteurs. Les acteurs de la PQR doivent proposer des offres sur-mesure pour répondre aux besoins d’agilité des lecteurs.

Un abonnement à la carte par thématique, par fréquence ou même à l’article, est une solution efficace pour répondre aux usages de consommation. Cette flexibilité doit s’accompagner d’un parcours utilisateur sans friction où chaque étape valorise le contenu premium. Imaginez un lecteur curieux qui découvre un article grâce à un paywall attractif puis évolue naturellement vers un abonnement grâce à une expérience de conversion claire et intuitive.

Cette approche transforme les hésitations en engagements et les engagements en fidélisation durable.

L’éducation aux médias, entre résilience et inventivité

Marie Le Douaran, codirectrice et chargée de développement des Autres Possibles

Indispensable pour éveiller l’esprit critique, l’éducation aux médias est pourtant fragilisée par des arbitrages politiques en défaveur de l’éducation, de la vie associative ou de la culture, et l’année 2025 s’annonce complexe pour de nombreux porteurs de projets. Sur le volet médiatique, avec la mainmise de Vincent Bolloré sur les médias et l’édition, l’IA ou les fake news, comme sur les enjeux climatiques et sociaux, les sujets ne manqueront pourtant pas. L’EMI doit être sur tous les fronts, pour tous les publics.

Pour les médias locaux, l’éducation aux médias est certes un axe de modèle économique, mais c’est avant tout une mission d’intérêt général nécessaire à la vie de la démocratie et complémentaire de la production journalistique, qui doit pouvoir être menée dans des conditions d’exercice pérennes. Nul doute qu’ils devront faire preuve d’inventivité et de résilience pour mener à bien cette mission, en réfléchissant d’ores et déjà à un durcissement du contexte pour les années à venir.

L’heure de la sobriété sur les réseaux sociaux

Laurent Riéra, directeur de la communication à Rennes Métropole

Et si 2025 était l’année du ralentissement sur les réseaux sociaux pour les médias de proximité  ?

Il y a encore 5 ans, le mantra consistait à multiplier les points de contacts avec nos audiences. À identifier les meilleurs canaux, les meilleurs moments, pour toucher les lecteurs et auditeurs tout au long de la journée. Jusqu’à parfois très tard, c’est arrivé pendant le confinement.

Depuis plusieurs facteurs ont bouleversé ces principes : la fatigue post-pandémie avec son lot de questions sur le sens du métier ; l’infobésité, qui peut aboutir à un « retrait » de la sphère informationnelle ; la charge mentale des journalistes, obligés de jongler en permanence avec plusieurs temporalités ; et bien sûr la nécessaire réduction de notre empreinte carbone.

À Rennes Métropole, nous avons pris le parti en 2024 de tenter la sobriété sur les réseaux sociaux, avec l’objectif de diviser par deux le nombre de publications, sans renoncer pour autant à nous adresser au plus grand nombre. Les premiers résultats sont très encourageants avec une hausse continue des abonnements, des interactions et un taux d’engagement élevé.

Les médias locaux, un rempart face aux fake news

Estelle Prusker, responsable Majeure Media et production de Contenu à Audencia SciencesCom

En 2025, l’intelligence artificielle continuera de transformer le paysage médiatique, offrant aux médias locaux de nouvelles opportunités d’automatisation et d’innovation éditoriale. Cette révolution s’accompagne d’un défi de taille face à la production désormais « industrielle » des fake news via les outils d’IA générative et la perte de confiance du public envers une information dont il a de plus en plus de mal à démêler le vrai du faux.

Dans ce contexte, les médias locaux, souvent perçus comme des tiers de confiance à l’échelle territoriale, ont un rôle clé à jouer en faisant preuve de transparence et de pédagogie à l’égard de leurs audiences : expliquer clairement comment l’IA est utilisée par les rédactions, tout en signalant les contenus générés ou modifiés par cette technologie afin de permettre au public d’identifier la plus-value journalistique.

Des outils comme le filigrane numérique (watermarking) permettant de tracer l’origine des contenus devraient se développer plus largement en 2025 dans les rédactions. Ils doivent néanmoins s’intégrer dans un dispositif plus global de formation des journalistes et de sensibilisation des audiences, car mal maîtrisés, ces outils risquent d’amplifier la méfiance du public, comme le souligne le dernier rapport du CNTI (Center for News Technology and Innovation). Les défis 2025 pour les médias locaux sont donc à la fois technologiques et humains, l’enjeu étant, face à la prolifération des fake news, de devenir des tiers de confiance numériques, capables non seulement de produire des informations authentiques, mais aussi d’aider leurs audiences à mieux s’informer.

Médias locaux et influenceurs : le moment de travailler ensemble

Jimmy Darras, chef de projet à Ouest Médialab

En 2025, verra-t-on l’émergence d’un Hugo Décrypte local ? En tout cas, pour les médias de proximité, un des enjeux à venir sera certainement de trouver comment composer avec les influenceurs et créateurs de contenus de leur territoire.

Ils n’ont pas la carte de presse, mais parlent de leur région ou de leur ville et sont un canal d’accès à l’info locale pour une partie du public et notamment les très prisés 18-35 ans, qui seront les lecteurs/abonnés potentiels de demain. Ils réussissent aussi à capter des revenus via des partenariats ou de la publicité en ligne avec un modèle en forte croissance. Il semble donc difficile de les ignorer.

Reste à savoir comment s’y prendre pour les médias : collaborer avec eux, comme le fait Nice-Matin avec ses “ambassadeurs”, s’en inspirer comme le fait Ouest-France et sa nouvelle chaîne Youtube Kolok ou pourquoi pas aller plus loin en les intégrant dans la rédaction ? À l’inverse, les info-influenceurs pourraient également avoir intérêt à travailler avec les médias traditionnels pour accroître leur légitimité.

Un des enjeux sera enfin d’identifier ces créateurs de contenus sur nos territoires. C’est un des chantiers que nous souhaitons mener à Ouest Médialab dans le prolongement de notre cartographie des rédactions locales.

8 projets inspirants 👀

JT

Le Télégramme lance un nouveau rendez-vous quotidien d’information “T dans l’actu”. Il s’agit d’un format vidéo de 12 minutes qui revient sur les actus du jour en Bretagne. Celui-ci est réalisé depuis les nouveaux studios du groupe et diffusé sur son site internet et ses deux chaînes locales Tébéo et Tébésud.

Radio

France Bleu, c’est fini. Les 44 antennes locales sont rebaptisées “ICI” depuis début janvier. Cette nouvelle marque est désormais commune aux radios locales et télévisions régionales du service public. La directrice du réseau, Céline Pigalle est revenue sur cette nouvelle identité sur Franceinfo. “On s’allie avec les France 3 Régions pour être visibles avec une marque puissante […] Il faut qu’on assume peut-être plus encore le fait d’être des stations locales.”

IA

Aux Etats-Unis, les équipes du média Chalkbeat ont développé un outil d’IA interne, basé sur l’API d’Open AI, pour transcrire, résumer et analyser les réunions publiques locales. L’objectif : nourrir la réflexion des journalistes avec des pistes d’articles et de nouvelles sources. 60 réunions publiques ont ainsi été traitées par l’IA. Ce projet a été développé dans le cadre du programme Product & AI Studio de l’American Journalism Project, soutenu notamment par Open AI.

Événementiel

Le groupe La Dépêche renforce sa branche événementielle avec le rachat de la société Fadas Event qui organise notamment le festival musical Les Déferlantes dans les Pyrénées-Orientales. La Dépêche organise déjà depuis 2022 le Rose Festival à Toulouse ou encore Tubecon, le festival de l’influence, mais aussi des événements B2B.

Engagement

À l’heure des bonnes résolutions, L’Ardennais s’engage en 2025 à aider les habitants de son territoire à retrouver un emploi (9,8% de chômage sur sa zone). Pour cela, le quotidien souhaite d’abord dresser un état des lieux des initiatives locales en faveur de l’emploi, organiser des rencontres et job-dating de proximité et ouvrir le carnet d’adresses de ses journalistes pour constituer un réseau d’entraide.

Jeune média

En Mayenne, le média Les Champs d’ici qui traite de la ruralité et de l’agriculture paysanne dans le grand Ouest lance une campagne de dons. Créé en mai 2023 par l’association Graines d’avenir, qui publiait jusqu’en 2020 L’Avenir agricole, Les Champs d’ici se veut un média grand public indépendant.

Sport

Hebdomadaire sportif de La Voix du Nord, La Voix des sports lance une nouvelle formule avec “une ligne éditoriale plus incisive et engagée, mettant en lumière les exploits sportifs, les débats, et les perspectives régionales et nationales.” Sur son site internet, il propose des analyses, des vidéos, des débats et de l’info en continu.

Café

Dans sa dernière newsletter de l’année, Lion Publishers, l’association des médias en ligne indépendants aux Etats-Unis, revient sur plusieurs initiatives de ses adhérents en 2024. Le média en ligne NowKalamazzo dans le Michigan s’est par exemple associé avec un café local pour afficher sur les manchons en carton de ses tasses à café un QR code vers ses contenus en lien avec les élections.

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Plateforme

Après X, va-t-on se diriger vers un Facebook-exit dans les médias, suite aux dernières annonces de Mark Zuckerberg concernant l’abandon du fact-checking sur les plateformes de Meta ? Des éditeurs locaux se posent déjà la question, comme Pierre France de Rue89 Strasbourg.

Journalisme de solutions

Le journalisme de solutions peut-il s’appliquer dans les médias locaux ? En Grande-Bretagne, des chercheurs de l’université de Bournemouth ont accompagné des journalistes au sein de 4 groupes de presse pour introduire le journalisme de solutions dans leur quotidien. 51 journalistes de 47 marques médias y ont participé et on produit 170 articles de solutions sur 18 mois. Les journalistes et rédacteurs en chef impliqués ont tous été interrogés. Plusieurs freins ont été identifiés : le manque de ressources et de temps pour réaliser des articles de solutions ou encore des formats articles qui ne correspondent pas au flux quotidien de l’actu. Selon les chercheurs, il faudrait davantage d’incitation de la part des directions à produire ce type de journalisme pour que celui-ci trouve une place dans les rédactions.

Faits divers

Avec les réseaux sociaux, les faits divers peuvent passer d’un sujet local à un sujet national en quelques heures. L’équipe du Médialab de Sciences Po s’est intéressée à la politisation des faits divers. Celle-ci ne résulte pas que des réseaux sociaux  mais aussi largement des médias traditionnels, comme le montre l’analyse de l’affaire Lola.