Le journalisme local n’est pas mort
Rasmus Nielsen est Professeur de communication politique à l’Université d’Oxford et Directeur du Reuters Institute for the Study of Journalism qui publie chaque année le très utile et pertinent, Digital news report. Cette année, un des volets de ce rapport analyse l’usage des médias locaux dans de nombreux pays dans le monde. Rasmus Nielsen était donc logiquement notre invité pour la conférence inaugurale de l’édition 2020 du Festival de l’info locale.
Rasmus Nielsen a commencé sa conférence par un petit rappel de la pertinence du journalisme local : il est source d’informations pratiques pour la vie quotidienne, il aide les lecteurs à se situer dans le débat public de leur localité, mais il participe aussi au sentiment d’appartenance à leur communauté. « On vit tous quelque part ».
Aucune autre information (nationale ou internationale) ne peut se substituer à l’information locale. D’où la nécessité de trouver des modèles économiques durables, sinon le journalisme local sera bénévole ou soumis à un financement privé et pourrait perdre son indépendance. C’est un marché incroyablement compétitif à de très nombreux points de vue, en compétition avec des géants comme Facebook et Google, tant pour l’audience, le prix que pour la publicité qu’on peut en tirer. Pour le consommateur, le journal local est en compétition avec l’abonnement Netflix, Spotify, l’abonnement de téléphone, etc…
L’autre compétition est celle de la confiance, a poursuivi Ramus Nielsen. Il faut être réaliste et reconnaître combien il est dur d’être jugé digne de confiance.
« Il y a bien un déclin structurel de la presse locale, mais il ne faut pas le confondre avec la mort de la presse locale. »
Quelques données brutes : l’info locale ne représente que 3 à 4 % des recherches réalisées sur internet dans le monde entier. Aux Etats-Unis, pays où la majorité des journaux sont locaux, moins d’un sixième du temps libre des Américains est consacré à l’information. Les journaux locaux représentent que 0,5% de cette audience. Autre rappel d’importance, la publicité ne s’intéresse pas aux journaux mais vise à toucher le public. Les publicités locales sont donc proportionnelles à cet intérêt. Dans le passé, certains journaux locaux avaient un quasi-monopole sur les annonces légales, ce qui a disparu dans l’environnement digital.
D’où les difficultés pour bâtir des modèles économiques basés entièrement sur la publicité. C’est donc pour cela qu’il faut trouver un moyen d’intéresser le public à l’info locale, et ainsi bâtir une audience loyale et engagée.
Il peut y avoir deux types de modèle économique : l’agglomération de nombreux titres locaux par rachat, ou bien une diversification des activités du journal (en périphérie de l’information) s’appuyant sur un souffle local (regional breath). Il est aussi possible de faire un travail de fond de journalisme local.
« Il n’y a pas de recette magique pour gagner autant d’argent que par le passé. Mais si on fait du bon journalisme et qu’on arrive à en vivre, il faut considérer cela comme un succès. »
De nombreuses expérimentations montrent qu’on peut toucher la génération digitale, digital born, (comme le Texas Tribune, Lincolnite, ou Bristol Cable, ou des journaux en Norvège).
Afin de pouvoir être rentable et cela avant même d’investir dans la publicité, la presse locale se doit d’avoir une base de lecteurs solide et pour cela il faudra fidéliser les citoyens.
En conclusion, il est possible de faire du bon journalisme local à petit budget, plus engagé et plus digital, avec des modèles plus variés, dont certains sont encore à inventer.
Valérie Bridard