L’engagement, c’est leur raison d’être
Ecrire pour son lecteur, c’est une évidence non ? Plus exactement ça le redevient ! Depuis quelques années, les médias locaux ont pris conscience du fossé qui s’était creusé entre eux et leurs lecteurs, qui ne se retrouvaient pas dans les sujets traités. Cette remise en cause salutaire replace le lecteur au centre du journal, qui offre désormais un journalisme de solutions et d’engagement pour son territoire. Un phénomène amplifié la crise sanitaire.
C’est l’histoire d’un train qui n’arrive pas à l’heure… mais alors pas du tout ! Onze heures de retard pour l’Intercités entre Paris et Clermont-Ferrand le 27 juin 2019 et dix-sept heures pour le même train mais dans l’autre sens un mois plus tard ! Le journal La Montagne va s’emparer du ras-le-bol des voyageurs et devenir le « porte-voix » des usagers, obligeant même Guillaume Pepy, alors Président de la Sncf, à venir sur place dialoguer avec les citoyens.
« C’est un engagement qui n’est pas programmé mais qui s’impose en réactivité, pour être au plus près des citoyens », explique Sandrine Thomas Rédactrice en Chef de la Montagne. « C’est la feuille de route de la rédaction que nous avons réécrit il y a cinq ans. Revenir à nos fondamentaux : écouter et être utile à nos concitoyens, en étant réactifs à leurs préoccupations sur le territoire ».
Depuis deux ans, la Voix du Nord a décidé aussi de revenir à ses origines pour ‘Ensemble écrire la nouvelle histoire du Nord‘ – le journal a été créé en 1941 par un groupe de résistants – « Je pense que le rôle du média sur son territoire c’est de raconter, mais faire en sorte aussi que la situation s’améliore et que ça aille mieux pour les gens », affirme Gabriel D’Harcourt Directeur de la publication la Voix du Nord.
Désormais le journal donne chaque jour des informations utiles, de la plus simple, comme les numéros d’urgence placés à côté d’un article racontant une agression, aux plus ambitieuses, avec ce dossier sur le harcèlement scolaire. Un thème choisi par la rédaction, que le quotidien conclut par huit propositions, transmises à la Rectrice d’Académie, dont deux doivent prochainement être mises en œuvre.
L’engagement ça paye !
L’engagement auprès des habitants de son territoire offre un rebond à la presse quotidienne, que confirme Gabriel d’Harcourt : « sans vouloir choquer c’est aussi une opération marketing. Cette dimension d’un engagement fort auprès de la communauté de notre territoire, nous permet d’être de notre époque en touchant notamment les jeunes ».
A côté des quotidiens régionaux généralistes qui prennent ce virage de l’engagement, il y a les médias dits engagés, ceux qui se sont construits dès leur création sur cette notion d’engagement. En 2012, quand Pierre France lance Rue 89 Strasbourg, déclinaison locale du média national, l’engagement pris était de remettre le journaliste dans la rue, pour écouter les gens et faire remonter des sujets.
Pour Pierre France, « ce principe de l’écoute c’est la base du journalisme d’engagement. Être des journalistes capables d’écouter sur le terrain et dégager une problématique qui ne serait pas sortie en conférence de rédaction ». C’est par exemple en allant à la rencontre des habitants de Hautepierre que le média a révélé comment la rénovation complète du quartier avait perdu les GPS et avec eux les livreurs. Un problème qui a pu être réglé en quelques semaines après la parution de l’article mais « qui aurait pu durer beaucoup plus longtemps sans le travail de la rédaction » estime Pierre France.
Comment mesurer l’impact de cet engagement
Que cet engagement soit intrinsèque au média ou qu’il se soit imposé après la crise des gilets jaunes « qui a réveillé une presse endormie par son monopole » selon Sandrine Thomas, il est encore difficile d’en mesurer l’impact. « Il n’y a pas d’outils tout prêt », dit Pierre France. Il préconise de mettre en place ses propres outils d’évaluation selon que l’on souhaite mesurer l’impact éditorial ou la proximité de la communauté avec le média, par exemple.
Le confinement a rapproché le public de ses médias de proximité et ça s’est traduit par une explosion de l’audience numérique tous médias confondus. Pour Gabriel d’Harcourt, « cette crise remet la presse régionale au cœur de la société. Il serait intéressant d’analyser la confiance dans les médias régionaux, des indicateurs ont pu évoluer avec cette crise ».
Les quotidiens régionaux ont aussi bénéficié des retours instantanés des lecteurs, et pas seulement pour découper dans le journal leur attestation de déplacement. Il y a eu aussi énormément de partages d’initiatives solidaires, dans les médias locaux traditionnels et numériques.
S’engager c’est aussi prendre le risque de perdre des lecteurs
Si aujourd’hui le journalisme d’engagement s’apparente le plus souvent à un journalisme de solutions, les quotidiens régionaux savent aussi prendre des positions qui peuvent déranger une partie de leurs lecteurs.
En décembre 2015 la Voix du Nord prend position ouvertement dans la campagne des élections régionales avec cette enquête ‘Pourquoi une victoire du FN nous inquiète‘. Un engagement totalement assumé par Gabriel d’Harcourt : « notre prise de position contre le FN a fait du bruit mais il faut des valeurs et répondre aux lecteurs. On nous a reproché une absence de neutralité, alors que notre démarche était de défendre un territoire, ses habitants et son développement. Oui on a perdu des lecteurs à ce moment-là ».
En novembre 2019, la Montagne prend huit engagements auprès de ses lecteurs, dont celui de se réserver le droit de prendre position au lendemain du premier tour des municipales « pour défendre nos convictions comme en 2002 et en 2017″. Un engagement assumé en toute transparence auprès des lecteurs.
« Nous Rue 89 on est déjà perçu comme un média engagé, remarque, Pierre France, on sait qu’il y a des gens qui vont nous détester d’entrée ». Avec une ligne éditoriale moins généraliste, le média reconnait que ses choix de thématiques peuvent lui faire perdre du public, mais Pierre France assume : « on n’est pas un fabricant de bonheur« .
La crise sanitaire bouscule l’engagement
Pour Rue89 Strasbourg, la crise sanitaire actuelle remet en cause sa conception du journalisme d’engagement. Avec les contraintes de distanciation, il est plus difficile d’aller au contact des habitants pour les écouter et détecter des sujets.
Au contraire des quotidiens régionaux pour qui la crise sanitaire a accéléré le retour à l’engagement utile. Pendant le confinement, les habitants ont eu besoin de plus d’informations pratiques, par exemple sur la collecte des déchets ou la distribution de repas.
Engagée, la presse territoriale l’est aussi. « Nous avons l’obligation légale d’informer les habitants sur les politiques publiques, nous portons les projets des élus, précise Isabelle Pierre, Directrice-adjointe de la communication à Nantes Métropole. C’est un principe de démocratie locale, même si aujourd’hui la presse territoriale est devenue plus du journalisme de solutions que du journalisme d’engagement, pour répondre aux attentes des habitants. Nos médias sont complémentaires de la presse quotidienne qui a un rôle primordial dans la démocratie locale. «
Au printemps, en pleine urgence sanitaire et sociale, le service de communication de Nantes Métropole a passé un partenariat avec Ouest-France pour imprimer deux documents d’informations pratiques et les distribuer gratuitement au plus grand nombre. « Les habitants avaient besoin de repères, de connaitre les aides mises à disposition par la ville. On a pu mesurer l’impact de la diffusion de ces informations quand on a vu les files d’attente aux portes des services. Nos médias sont complémentaires de la presse régionale », estime Isabelle Pierre.
Un engagement assumé
Ce retour à un engagement sur le territoire est complètement assumé par la presse quotidienne régionale. « Pendant des années, on nous a assez reproché de relater les informations d’une façon neutre. Aujourd’hui sur la fermeture d’une école, ou les zones blanches numériques on doit porter et défendre ces problématiques de territoire » affirme Sandrine Thomas . Le 1er octobre prochain, la Montagne publiera un cahier d’impact, pour rendre compte en direct aux lecteurs des succès et des échecs de ses choix éditoriaux. Sandrine Thomas prend l’engagement de le faire une fois par an.
Parce qu’après le train l’an dernier, il y a eu l’hélicoptère cet été ! Le journal La Montagne s’est à nouveau mobilisé, cette fois-ci pour garder l’hélicoptère de la sécurité civile dans le Puy de Dôme. « On s’est rendu compte que cette mobilisation pour le maintien de l’hélico de secours avait été utile et efficace puisqu’elle a sauvé des vies ! « .
Cécile Dauguet